Les Rencontres internationales de la photographie d’Arles ont commencé avec une exposition phare montrant les négatifs mythiques de Capa, Chim et Gerda Taro pris pendant la guerre civile espagnole et longtemps égarés.
«La camarade Gerda Taro nous a assistés de sa présence à trois de nos plus durs combats – stop – Nous regrettons profondément sa mort, survenue à l’avant-garde de la lutte antifasciste et envoyons aux camarades de France nos condoléances les plus émues – stop – Signé : les soldats, officiers et commissaires de la 39e division », stipule le télégramme bleu d’El Major Jofe, qui vient d’apprendre que la photographe et compagne de Robert Capa, écrasée par un char d’assaut républicain lors de la bataille de Brunete, est décédée le 26 juillet au matin dans l’hôpital où elle avait été transportée. Le magazine Regard, pour lequel elle travaillait, titre quelques jours plus tard : Ce que Gerda Taro a vu la veille de sa mort.
Ces documents poignants, on les découvre dans une vitrine de l’exposition « la Valise mexicaine », organisée par l’ICP (International Center of Photography) de New York et présentée, pour la première fois en Europe, au musée de l’Arles antique, dans le cadre de la 42e édition des Rencontres internationales de la photographie d’Arles. De l’avis des visiteurs, c’est l’exposition phare de la programmation mexicaine, un temps mise en péril par la surenchère de deux ego présidentiels dans l’affaire judiciaire Florence Cassez et finalement sauvée par les ministères de la Culture, des Affaires étrangères, l’Institut français et par l’homme le plus riche du monde, Carlos Slim, patron du groupe de télécommunications mexicain Télévista.
La valise mexicaine de Robert Capa, montrée dans l’exposition, n’est ni une valise, ni mexicaine, ni attachée au seul Robert Capa. Ce sont trois boîtes de couleur différente munies de casiers contenant des rouleaux de pellicules, en tout 4 500 négatifs pris pendant la guerre d’Espagne (1936-1939) par des exilés juifs de Paris, Robert Capa (1913-1954), le plus célèbre, mais aussi par Fred Stein et surtout David Seymour, dit Chim (1911-1956) – cofondateur en 1947, avec Capa, de l’agence Magnum, à Paris – et Gerda Taro (1910-1937), dont les négatifs couvrent presque toute l’œuvre puisqu’elle meurt, à vingt-six ans, sur une ligne de front de cette guerre.
L’histoire de la réapparition de ces boîtes, perdues en 1939, localisées à la fin des années 1990 et retrouvées au Mexique en 2008, est rocambolesque : fin 1939, Robert Capa quitte précipitamment la France pour les États-Unis. Il laisse tout dans son atelier parisien de la rue Froidevaux où reste son copain, assistant et tireur Imre Weisz, dit Csiki. En juin 1940, ce dernier sent à son tour qu’il lui faut fuir l’arrivée des nazis. Il place dans des boîtes les négatifs les plus précieux et les embarque sur son vélo, direction Bordeaux. En chemin, il les confie à un Chilien afin qu’il les mette à l’abri dans son consulat. Arrêté comme « étranger indésirable », il est placé dans un camp d’internement français au Maroc, d’où Capa le fait exfiltrer en 1941. La trace des négatifs est perdue. Il faudra plus de trente ans et quelques négociations pour les récupérer auprès d’un réalisateur qui les tenait de la fille d’un général, consul du Mexique à Vichy !
Entre-temps, la traque de « la valise mexicaine » prend d’autant plus d’importance que l’on espère y découvrir le négatif perdu de l’image de Capa représentant un milicien républicain tombant sous les balles. Mais, de même que la découverte des carnets de contacts des trois photographes prêtés par les Archives nationales de Paris ne l’avait pas fait remonter à la surface, le négatif qui, par son ordre dans les prises de vues, aurait pu fournir de précieux renseignements sur les intentions de Capa, ne se trouve pas dans les boîtes. L’énigme de cette photo – instantané ou mise en scène ? – demeure.
Par contre, les conservateurs de l’ICP, notamment Cynthia Young, commissaire de l’exposition, se souviennent avec émotion du moment de grâce où ils ont constaté, à l’ouverture, que le film en nitrate, resté souple, ne dégageait pas l’odeur de vinaigre caractéristique de la décomposition, ce qui signifiait que ces trésors étaient intacts, lisibles, montrables. Un miracle !
Juste une frustration. Ces trois-là s’étaient choisi Paris, où ils s’apprêtaient à fonder l’agence Magnum avec Henri Cartier-Bresson. Ils avaient reçu des commandes de la presse française. Ils écrivaient leurs carnets et leurs légendes en français. Bien sûr, le frère de Capa, Cornell, est le fondateur d’ICP à New York, mais on ne peut s’empêcher de se demander pourquoi ces boîtes de négatifs, parties de Montparnasse, ne sont pas allées au bureau parisien de Magnum, où il nous semble qu’elles eussent trouvé leur juste place.
N’empêche. L’exposition américaine, véritable plongée dans l’histoire de la guerre d’Espagne et du photojournalisme, est à la hauteur de ce qui nous saisit. Scandée par les lieux, les batailles, les événements, marquée par des compositions et des sujets différents, elle nous met dans les pas d’un photojournalisme qui s’engageait au point d’adhérer à l’utilisation de ses images par la propagande républicaine et sera montré, en formats géants, aux côtés du Guernica, de Picasso, à l’Exposition universelle de 1937.
Elle fait voisiner les planches-contacts de chacun, légèrement agrandies, et leurs parutions dans une presse qui nous parle, à nous à l’Humanité : Regards était un magazine communiste ; Vu avait été fondé par Lucien Vogel, le père de Marie-Claude Vaillant-Couturier ; Ce soir, dont Capa fut nommé un temps directeur photo, était dirigé par Louis Aragon. Chaque image, souvent inédite, prise dans une séquence, raconte une histoire et frappe l’imagination. Le siège de l’Alcazar à Tolède, une messe à ciel ouvert au Pays basque, la cité universitaire de Madrid après le bombardement, les souffrances du peuple sont faits pour toucher la conscience du monde.
Chacun approche la guerre à sa façon : Chim privilégie le quotidien des civils déchirés, douloureux. Il aime photographier les enfants, donner corps aux figures de la dirigeante Dolorès Ibarruri, du brigadiste Ernest Hemingway, du poète Garcia Lorca.
Capa est dans l’anticipation. Il se déplace dans le même tempo que ses sujets, pousse la proximité jusqu’au flou. Sa couverture de la bataille du Sègre révolutionne le reportage de guerre. Il ne lâchera rien et opérera jusque dans les camps d’internement de la frontière franco-espagnole, où sera parqué, après l’anéantissement – quelle honte –, le meilleur de la résistance antifranquiste. Taro, qui accorde beaucoup d’importance à ses compositions formelles, n’a peur ni de sa mort ni de la regarder en face, lorsqu’elle photographie les cadavres sur les fronts de Cordoba, de Gergovie où sa photo sent le souffle de la bataille. Sur ses ultimes images, à Brunete, on sent dans ses photos qu’elle perd le contrôle, panique au milieu des soldats terrorisés par le chaos qui gagne, par un camion qui s’embrase…
Le coffret de deux tomes (592 pages, 84 euros) à paraître dans quelques semaines aux éditions Actes Sud sous le titre la Valise mexicaine, Capa, Chim et Taro, présente une somme de documents incontournables sur cette guerre civile et sur l’avènement du photojournalisme moderne. Une carte géographique retrace les déplacements de chacun pendant ces trois années. Des portfolios recensent l’intégralité de leurs clichés, dont plein d’inédits absents de l’exposition.
Leur recontextualisation s’opère immédiatement grâce à la reproduction des unes et aux reportages publiés par la presse française et étrangère. De nombreux textes et analyses critiques, rédigés par des spécialistes et chercheurs, racontent l’épopée de « la valise mexicaine », traitent de l’engagement à l’époque, questionnent cette première guerre des images, s’intéressent au processus d’identification des 4 500 négatifs et dévoilent la difficulté à discerner les images de Capa de celles de Taro…
L’affiche de cette 42e édition, baptisée Non conforme, n’aurait pas déparé à Perpignan, au festival Visa pour l’image. Le photojournalisme y est en effet à l’honneur non seulement avec la Nuit de l’année, mais aussi avec une passionnante rétrospective des trente années iconographiques du New York Times Magazine ; une soirée consacrée à Roger Thérond, longtemps patron de Paris Match ; une exposition percutante, chavirante, tant en matière de sens que de scénographie, du collectif défricheur Tendance floue. On a donc croisé, à Arles, cette année, des personnages tels John Morris, Jimmy Fox, contemporains de Capa à Magnum, Jean-François Leroy, directeur de Visa, Stanley Greene, Jan Grarup venu recevoir le prix Oscar Barnack… Enfin, l’exposition sur la révolution mexicaine, pleine de pépites mais trop peu didactique, aurait pu y prendre place, de même que les 101 Tragédies d’Enrique Metinides, sorte de Weegee latino hanté par des catastrophes qu’il a transformées en one-shots narratifs spectaculaires, sans être sensationnels.
Les autres artistes mexicains, bien plus jeunes, souvent femmes, s’intéressent à l’imagerie des femmes riches et célèbres (Daniela Rossell), mises en scène telles qu’elles s’imaginent ; à la prostitution dans la zone rouge entre Mexique et États-Unis ; aux femmes soupçonnées, dans les États les plus catholiques, de sorcellerie (Maya Goded) ; au sort d’immigrants latino-américains à New York filmés sur leurs lieux de travail et habillés en super-héros (Dulce Pinzon). Saluons enfin la formidable installation vidéographique, dans l’église des Frères Prêcheurs, consacrée à Gabriel Figueroa (1907-1997), photographe de plateau, chef opérateur, directeur de la photographie du cinéaste Luis Bunuel. Un hommage au style Figueroa qui a si bien servi l’âge d’or du cinéma mexicain…
La magie de Graciela Iturbide. Humble, menue, la Mexicaine Graciela Iturbide, soixante-neuf ans, est la star d’Arles. Mais lorsqu’on l’interroge sur le réalisme magique de ses images en noir et blanc, sur la précision de ses cadrages, sur l’étrangeté des situations qu’elle capte – des portraits d’Indiens Seris aux travestis de Mexico, en passant par ses récentes images d’oiseaux ou de son autoportrait dans la baignoire de Frida Kahlo –, elle préfère parler de la poésie de son maître, Manuel Alvarez Bravo, qui lui recommandait de « prendre (son) temps », ou de Tina Modotti qui s’imprégnait des mêmes lieux. Courez voir son exposition mise en scène par Marta Daho à l’espace Van Gogh. Chaque image dévoile un instant unique, surréel, entre rêve, rituel et symbole, et ouvre sur le tragique. Ah, si André Breton avait pu voir ça !
Rencontres d’Arles. 34, rue du Docteur-Fanton, Arles. Tous les jours de 10 heures à 19 heures. Jusqu’au 18 septembre.
www. rencontres-arles.com
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Bien à vous,
Morgane BRAVO
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